Suite à un échange de haut niveau avec le gouvernement, l'institution financière panafricaine soutiendra plus l'auto-entrepreneuriat, la formation et les projets à forte connotation sociale. La Banque est satisfaite de ses projets menés au Maroc sur les 10 dernières années totalisant un financement de 3 milliards de dollars.
La Banque africaine de développement va entamer une réorientation de ses opérations au Maroc en se focalisant sur deux principaux aspects. Le premier a trait au développement social à travers l'encouragement de la formation professionnelle, l'auto-entrepreneuriat et la création d'emplois. Le second concerne l'appui à la régionalisation avancée pour un développement économique local intégré.
Pour Leïla Farah Mokaddem, représentante de la BAD au Maroc, il s'agit de trouver des niches de développement au niveau régional. La responsable intervenait hier à Rabat lors d'un point de presse consacré à la présentation de la revue d'évaluation des projets de la banque sur les 10 dernières années au Maroc. Dans le cadre de cette nouvelle génération de mesures, la BAD a lancé il y a quelques mois une opération pilote en faveur de l'auto-entrepreneuriat, baptisée Souk Attanmia, sous forme d'un don au profit des startups. Le coup d'envoi a été donné dans la région de Guelmim avec une dizaine de candidats.
En gros, l'institution financière panafricaine est désormais à l'écoute du gouvernement à travers un dialogue de haut niveau qui a permis de dégager les priorités sur lesquelles la banque se penche désormais. Mokaddem a indiqué à ce propos qu'une étude sur le renforcement de capacité dans le domaine social a été présentée au gouvernement. L'engagement de la banque dépasse l'aspect financier pour accompagner les réformes et le développement du pays.
Dans cet esprit, la BAD a signé une convention avec la Commission nationale de la commande publique qui, selon Mokaddem, est une structure qui renforce la transparence en matière d'octroi des marchés. L'autre convention qui renseigne sur la nouvelle inflexion de la BAD en faveur du secteur privé a été signée avec la CGEM pour accompagner les entreprises qui veulent investir en Afrique. Quid alors de l'évaluation de l'action de la banque au Maroc et son impact sur le niveau de vie de la population ? Sans hésiter, Mokaddem qualifie l'évaluation d'excellente et l'exécution des projets de très bonne.
Contrairement à d'autres pays sur le continent, il y a zéro projet à risque au Maroc tandis que l'utilisation des ressources déployées est largement au top du classement avec un taux de décaissement qui a évolué de 36% en 2009 à 64% en 2018. La qualité des projets financés est irréprochable comme en atteste le nouvel Aéroport de Marrakech qui constitue une fierté aussi bien pour le Maroc que pour la banque. À fin septembre, le portefeuille actif de la Banque au Maroc était composé de 35 opérations totalisant 3 milliards de dollars d'engagement. Ce qui fait du royaume le premier client de la banque. Les engagements sont répartis dans les secteurs de l'énergie (31,5%), des transports (19,8%), de l'eau et de l'assainissement (15,5%), des opérations multisectorielles et de développement social (12,7%), le secteur privé (11,2%) et l'agriculture (9,4%). Quant au montant des approbations annuelles, il est passé de 607 millions d'euros en 2009 à 733 millions d'euros en 2018. Grosso modo, depuis le début de son partenariat avec le Maroc, il y a presque un demi-siècle, la banque a financé 170 projets pour un engagement financier de 10 milliards de dollars.
Outre l'aspect financier, la banque a contribué à l'amélioration de la gestion budgétaire et financière du pays, la transparence et la responsabilisation dans le secteur public ainsi que des systèmes de passation des marchés. Toutefois, la Banque attire l'attention sur le fait que la croissance du pays reste en-deçà du niveau escompté car étant aussi dépendante des humeurs du ciel. Elle a également pointé le curseur sur le chômage des jeunes qui reste très élevé ainsi que le manque de filets de récupération comme la formation professionnelle.
Pourquoi aujourd’hui le Maroc est le premier partenaire de la BAD en Afrique ?
Le
Maroc est un pays qui inspire. Un pays qui, vous le constatez, a
enregistré, ces dernières décennies, des progrès notamment dans les
domaines de la gouvernance, de l’amélioration du climat des affaires et
de l’égalité des genres. Voilà un pays qui a su également renforcer son
attractivité avec un réseau d’infrastructures de classe mondiale ayant
transformé son économie. Du complexe solaire Noor, le plus grand au
monde au port de Tanger Med, dont j’ai pu mesurer l’envergure, en
passant par le déploiement de la ligne ferroviaire à grande vitesse,
unique en Afrique, le Maroc est sur la voie d’une émergence certaine en
Afrique et dans le monde. En Afrique où le royaume impulse une forte
dynamique d’intégration économique avec un rôle central. Le Maroc qui
est aussi un des premiers investisseurs sur le continent et qui a
toujours été disponible pour partager son expérience sur le continent,
notamment dans le domaine des énergies renouvelables. Nous en avons fait
l’expérience avec Masen. Voilà quelques ingrédients qui font la force
et en même temps la résilience de l’économie marocaine.
Qu’en est-il de votre nouveau partenariat avec le secteur privé ?
Permettez-moi
de vous exposer deux nouvelles opérations à travers lesquelles nous
soutenons l’entrepreneuriat, la création d’entreprises et les
investisseurs qui souhaitent s’internationaliser et se positionner en
Afrique. Je commencerai par notre nouveau programme de soutien à
l’entrepreneuriat. En avril dernier à Guelmim, nous avons lancé Souk
Attanmia en célébrant les premiers lauréats qui bénéficieront de notre
appui. Une dizaine de lauréats parmi près de 300 candidats. Et ce n’est
qu’un début car nous envisageons de soutenir des centaines d’autres
candidats sur les prochaines années. L’esprit de Souk Attanmia, c’est de
prioriser l’humain sur toutes autres considérations. Nous travaillerons
surtout sur l’inclusion économique et sociale en ciblant les jeunes
parmi les plus défavorisés, les femmes et les personnes en situation
d’handicap ainsi que les populations des régions excentrées. Avec
l’ambition de voir 800 entrepreneurs recevoir un soutien technique et
250 projets qui seront soutenus financièrement, dont 30% initiés par des
femmes entrepreneurs.
Vous avez également noué un partenariat avec la CGEM, pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est
un partenariat premier du genre sur le continent. Nous unissons ainsi
nos efforts pour renforcer la contribution du secteur privé marocain
dans la dynamique d’intégration africaine du royaume. Il s’agit
d’accompagner les entreprises marocaines qui veulent se développer sur
le continent en développant une cartographie des échanges économiques et
commerciaux intra-africains pour ouvrir de nouvelles perspectives
d’investissement et d’import-export aux investisseurs. Sur un autre
plan, nous appuierons également l’organisation, début 2020, d’un forum
international dédié aux petites et moyennes entreprises pour survoler
les différentes problématiques et identifier les pistes d’action de
nature à aider les entreprises marocaines à se positionner encore plus
sur le continent. Nos priorités se croisent à travers cet accord qui, à
la fois, appuie la feuille de route Sud-Sud de la CGEM et met en œuvre
notre priorité stratégique en matière d’intégration régionale. On le
voit, le rôle du secteur privé marocain dans le processus d’intégration
africaine est majeur. Nous nous en félicitons et saluons la performance
du royaume qui figure parmi les premiers investisseurs africains sur le
continent. Sur la période 2013-2017, environ 80% des investissements
directs étrangers du royaume sont orientés vers l’Afrique pour une
valeur globale de près de 3,7 milliards de dollars.
Comment la BAD peut-elle aujourd’hui enrichir le débat sur le nouveau modèle de développement du royaume ?
Repenser
le modèle de développement au Maroc est un exercice qui est dynamique
d’ailleurs. Nous saluons ces réflexions extrêmement intéressantes. La
Banque africaine du développement est aussi une banque du savoir. Nous
avons engagé notre propre réflexion et produit une note qui tire
notamment les leçons des expériences d’autres pays. Au Maroc
aujourd’hui, il y a toute la question du contrat social et du
financement du développement qui émerge. Il s’agit de repenser le mode
de financement du développement pour laisser plus de place au secteur
privé. Et dégager d’autres ressources pour financer tout le contrat
social qui se trouve derrière. Cela nécessite un peu de sophistication
car au-delà du partenariat public-privé, il y a d’autres avenues sur
lesquelles il faut réfléchir. Il faut aussi voir comment la
structuration des PME peut se faire sur l’horizontal pour être viable et
augmenter leur capacité d’exportation car l’on remarque que la valeur
ajoutée locale des exportations marocaines a diminué, cela veut dire
qu’il faut voir quels sont les secteurs où le Maroc est compétitif pour
créer des industries locales exportatrices. Je cite à ce propos
l’agro-industrie entre autres exemples.