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PLF: Les chèques en bois au rayon des amnisties

19 nov. 2019 L'Economiste

Le ministre des Finances voudrait vraiment entamer une nouvelle page avec les opérateurs économiques et il le traduit en actes. Après les amnisties sur les actifs détenus à l’étranger, les avoirs liquides, les déclarations rectificatives prévues par le projet de loi de finances, il vient d’ajouter une contribution libératoire sur les amendes relatives aux chèques impayés.

L’amendement a été voté par la commission des Finances de la Chambre des représentants. La mesure inattendue a plusieurs objectifs. A commencer par le fait de vouloir solder les comptes des payeurs défaillants en leur permettant d’amorcer un nouveau départ, renforcer le rôle des banques ainsi que la confiance dans le chèque. Mais cette confiance ne se rétablirait que si la créance concernée est réglée.

L’amende n’étant qu’un accessoire par rapport à l’impayé. La contribution libératoire est un forfait de 1,5% du montant, assorti du paiement du chèque au lieu d’un barème plus lourd: 5% pour le premier incident de paiement, 10% pour le deuxième et 20% au troisième incident et suivants.

En plus du barème réduit de l’amende, le montant de la contribution libératoire est plafonné à 10.000 DH pour les personnes physiques et 50.000 DH pour les sociétés et ce quel que soit le montant du chèque. Le montant de cette nouvelle contribution libératoire devra être acquitté en un seul versement au cours de l’année 2020. Sont concernés par cette mesure les chèques restés impayés jusqu’au 31 décembre 2019.

Voté en séance plénière, jeudi 14 novembre, le projet de loi de finances qui inclut l’amnistie sur les amendes relatives aux chèques sans provision a été immédiatement transféré à la Chambre des conseillers. Introduite par les partis de la majorité, la mesure sera maintenue et votée.

La mesure a également pour objectif d’apurer le stock des chèques impayés dont le montant estimé par la Centrale des incidents de paiement sur chèques a atteint 13 milliards de DH, correspondant à 460.288 chèques en bois pour la seule année 2018, en hausse de 12,6% par rapport à l’année précédente.

«En fait, ce chiffre est à prendre avec prudence parce qu’il ne traduit pas la réalité des impayés. Il arrive que beaucoup de contrevenants s’acquittent du montant du chèque sans que la banque n’assure le suivi car le deal est souvent négocié entre l’émetteur et le bénéficiaire», explique un banquier. En tout cas, 113.756 impayés ont été régularisés l’année dernière, en progression de 6,4%.

En raison des incidents de paiement, 668.988 personnes sont interdites de chéquiers. Leur nombre a augmenté de 4,1% par rapport à 2017. 87,8% de ces interdits de chéquiers sont des personnes physiques. Ces données doivent être analysées sous plusieurs angles. La faible proportion des personnes morales s’explique par le fait qu’elles utilisent majoritairement la lettre de change (traite). Une traite sur six retourne impayée.

L’encours s’élève à 69 milliards de DH pour 2018 selon les chiffres de BAM. La prédominance des personnes physiques au niveau des chiffres relatifs aux interdits de chéquiers renseigne sur le nombre de consommateurs potentiels qui ne peuvent pas accéder au crédit à cause de leurs ardoises.

Un passif que ces personnes ne peuvent régler à cause du barème de l’amende en fonction de la récurrence des incidents de paiement. Un barème rédhibitoire surtout quand il s’agit d’un gros montant. Un obstacle qui saute, en principe, grâce à la contribution libératoire.

«L’intérêt de cette mesure, c’est qu’elle permettra à ces centaines de milliers d’interdits de chéquiers d’accéder enfin au crédit du fait que les compteurs seront remis à zéro. Ce qui permettra également de relancer le business des établissements financiers», confie le directeur de banque. L’accès au crédit constituera également un nouveau déclic pour relancer l’investissement grâce à l’ouverture des vannes du crédit pour des centaines de milliers de personnes qui en étaient interdites.

La mesure se traduira également par des recettes fiscales supplémentaires au Trésor au même titre que les autres contributions libératoires prévues par le projet de loi de finances.

Une formule de crédit de fait

Selon le dirigeant d’une banque, le rythme d’évolution des incidents de paiement connaît depuis ces dernières années une décélération à cause du montant des amendes. «Il faut reconnaître que, cette amnistie profitera aussi bien aux clients de bonne foi qu’à ceux qui sont de mauvaise foi et dont certains sont sciemment responsables de l’incident de paiement».

Le nombre d’impayés s’explique par le fait que le chèque est devenu plus une garantie pour un paiement, un moyen pour le repousser ou une formule de crédit. Or, il s’agit d’un moyen de paiement à vue, présentable au paiement à tout moment, quelle que soit la date d’émission Par crainte d’être interdites de chéquiers, certaines personnes ou entreprises demandent parfois jusqu’à cinq carnets pour ne pas être à court de chèques.

Les banques n’ayant pas les moyens de faire le suivi de leur utilisation. L’autre facteur qui explique la prolifération des chèques en bois tient du fait que, pour le moment, les entreprises et les particuliers ne peuvent pas se renseigner sur le dossier de crédit de leur client auprès de la Centrale des incidents de paiement.