«Je passe 50% de mon temps à faire du recouvrement et l'autre moitié à chercher à développer mon activité», témoigne un chef d'entreprise mardi dernier au Forum sur la relance de l'investissement des PME, organisé par le groupe Banque Populaire. 500 chefs d’entreprise avaient répondu à l’invitation de la banque. Signe de l’intérêt du sujet, la salle est restée plein après 3 heures d’échanges.
Malgré un agenda démentiel, le ministre de l’Economie et des Finances, Mohamed Benchaaboun, a tenu à être présent pour écouter les «soldats» qui créent au quotidien la richesse du pays. Dans la salle également, Zouhair Chorfi, secrétaire général du ministère des Finances, dont le franc-parler a marqué l’auditoire, et Ahmed Reda Chami, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui a explosé l’applaudimètre.
Les difficultés du recouvrement sont le lot quotidien des milliers de dirigeants de PME. D’ailleurs, courir derrière les créanciers pour se faire payer est devenu l’activité principale des chefs d’entreprise. En moyenne, un peu plus de 20 entreprises disparaissent chaque jour (8.000 par an sur 30.000 créations), sans compter des milliers d'autres qui se trouvent dans le couloir de la mort. Pour une bonne partie, leur détresse a pour origine des difficultés de trésorerie, lesquelles ont été exacerbées par des délais de paiement excessifs. Les mauvaises pratiques de paiement et le poids du crédit interentreprises rendent inaudibles les appels à la relance de l'investissement.
«Les délais de paiement constituent une véritable plaie et doivent être traités globalement, et non pas uniquement sous l'angle de l'Etat et des établissements publics», prévient le ministre de l’Economie et des Finances. Mauvais payeur, l'Etat a commencé le travail d’assainissement, notamment sur l’anomalie congénitale de la TVA marocaine (le fameux butoir).
«La problématique du butoir de la TVA sera dépassée d'ici fin 2019. Sur les 40 milliards de DH que devait le Trésor, 30 milliards ont été réglés à fin 2018», annonce Mohamed Benchaaboun. Le règlement du dossier du butoir de la TVA constitue une rupture, enchaîne Zouhair Chorfi. Le secrétaire général des Finances lance une petite bombe: «L’Etat a arrêté d’utiliser les crédits de TVA comme instrument de régulation du déficit budgétaire». Faut-il en déduire que les comptes de l’Etat étaient non sincères?
La facture électronique dès aujourd'hui!
Aux opérateurs présents, le ministre des Finances promet d’accélérer le traitement des difficultés des entreprises publiques (en manque de trésorerie après avoir beaucoup investi) afin qu'elles puissent améliorer leurs délais de paiement. L'usage de la technologie va permettre de fluidifier les procédures. La facture électronique sera opérationnelle dès ce jeudi 2 mai.
Au-delà des impayés du secteur public, le passif entre entreprises privées est bien plus lourd et pollue davantage le climat des affaires. Le crédit interentreprises culmine à 40% du PIB. «Le gouvernement ne souhaite pas légiférer parce que les contrats privés doivent prévaloir. Mais nous ne pouvons plus continuer à voir l'économie avancer au ralenti parce que certains donneurs d'ordre privés ne veulent pas payer leurs prestataires à temps», a averti le ministre des Finances.
Le gouvernement, dit-il, travaille avec le patronat sur des solutions pour dépasser ces blocages. Aujourd'hui, c'est une double peine pour les entreprises qui réclament leurs créances puisqu'elles sont taxées sur les montants non recouvrés. Pour en finir avec cette double peine, Ahmed Reda Chami, préident du CESE, a fait une proposition choc: sortir les factures impayées de la base imposable du fournisseur, et chez le client (mauvais payeur), ne plus accepter l’imputation dans les charges d’exploitation les montants des factures non réglées.
Au délai de paiement, les dirigeants des PME rajoutent l'instabilité de la fiscalité et la bureaucratie comme facteurs de blocage de l'investissement. L'atonie de la croissance et le ralentissement économique dans les pays partenaires réduisent les opportunités. L’accès au financement pose toujours problème, mais ce frein est moins puissant que par le passé.
La politique monétaire et les mesures de soutien de financement au PME ainsi que le travail de la Caisse centrale de garantie ont permis une détente des taux d'intérêt et de desserrer quelque peu le robinet du crédit aux PME. En dehors du crédit classique, les sources de financement alternatives comme le capital investissement émergent. «Nous allons densifier les fonds d'investissement de la BP pour soutenir le financement des PME», a indiqué Mohamed Karim Mounir, président du groupe Banque Populaire.
Aujourd'hui, les banques sont aussi mieux outillées pour apprécier le risque lié aux PME. L'analyse des dossiers qui reposait, dans de nombreux cas, sur la quantité de garanties que peut apporter l'entrepreneur est en train d'être dépassée. La Caisse centrale de garantie joue un rôle important en tant que tiers de confiance.
Plus simples et lisibles, ses outils rencontrent un vif succès auprès des entreprises. Ses ressources seront d’ailleurs renforcées. Par ailleurs, la mise en œuvre de la loi sur les sûretés mobilières va contribuer à renforcer l'accès au financement pour les PME (L'Economiste n°5475 du 19 mars 2019). Tout l'arsenal d'accompagnement des entreprises sera centralisé et encadré sous un Small Business Act.